Pauvre
silure. Il promène
une sale réputation. Son physique peu engageant, avec
sa grande bouche de carnassier et ses mensurations XXL (comme
ce spécimen pris dernièrement à Gardonne, en Dordogne), ne l'aide guère. Les nombreuses anecdotes qui pullulent, notamment sur Internet, entre
attaques de caniches et consommation de pigeons (voir la vidéo ci-dessus), ne sont pas plus convaincantes pour glisser un orteil dans "ses" eaux. Mais, en fait,
que sait-on vraiment de celui que certains n'ont pas hésité à surnommer le "requin d'eau douce" ? C'est pour justement
en finir avec les préjugés et prendre un peu de recul qu'
Épidor, l'établissement public territorial du bassin de la Dordogne, a lancé
une grande étude sur le silure de la rivière Espérance (1) en 2012, notamment avec la fédération de pêche et l'Association interdépartementale des pêcheurs professionnels en eau douce du bassin de la Garonne.
"Deux ans de plus d'étude sont nécessaires", prévient Pascal Verdeyroux, le "Monsieur Silure" d'Epidor. Mais si la démarche n'en est qu'à mi-parcours, elle permet déjà de tordre le cou à quelques a priori.
Oui, le silure est un champion de l'adaptation au milieu. Mais il ne dévore pas toute la faune sur son passage.
78 % des individus identifiés avaient carrément l'estomac vide au moment de leur capture. "On pense qu'il ne mange pas souvent. Par contre, ses prises sont variées.
Cet opportuniste ne se concentre pas sur une seule ressource, il consomme pratiquement de toutes les espèces présentes dans la Dordogne." Mais comment fait-on pour analyser les menus du géant ? Âmes sensibles, s'abstenir :
le pêcheur plonge carrément le bras dans la gorge de la bête pour fouiller son estomac.
Car
tous ces silures capturés, mesurés, pesés dans la mesure du possible et bagués, dans le cadre de l'étude d'Epidor, ont la vie sauve : ils repartent ensuite frayer dans les eaux de la Dordogne. Aloïs Marcelaud, technicien de la fédération qui participe lors de ses loisirs aux relevés, comme une quinzaine de bénévoles et trois pêcheurs professionnels, confirme : "Oui, ça arrive de voir des silures abandonnés, morts, sur les berges des rivières. Certains les tuent pour tuer. D'autres parce qu'ils sont persuadés qu'ils sont nuisibles."
Nuisible ? Officiellement, le silure ne l'est pas, même si certains pêcheurs militent pour son classement. Peut-être une partie de ceux qui s'en prenaient au sandre il y a quelques années. Cet autre carnassier a aussi promené une mauvaise réputation. Maintenant, les mêmes montent au créneau pour le défendre en montrant du doigt le silure qui le croquerait… À la fédération, le discours est clair :
"Tuer un poisson, ce n'est pas la philosophie de la pêche, à part si c'est pour le manger." Justement,
si on le goûtait, ce fameux silure ? "Sa chair se travaille bien, il n'a pas d'arête, on peut le cuisiner à la vapeur ou en matelote, par exemple", défend Pascal Verdeyroux. Dans le cadre de son étude, il a confié quelques pièces à des cuisiniers. Les tests se sont avérés plutôt concluants. Un argument qui pourrait peut-être rendre l'animal plus séduisant.
(1) Le silure, introduit à la fin des années 1980 par des pêcheurs qui voulaient s'offrir des séances "sportives", est complètement installé sur toute la partie périgourdine de la Dordogne. On trouve aussi des individus, plus petits, dans l'Isle, la Dronne et la Vézère.
Le silure en chiffres
600. C’est le nombre de silures qui ont été bagués ou équipés d’une puce depuis le lancement de l’étude sur la Dordogne, en 2012. 30 d’entre eux sont suivis par radioémetteur.
2,55. C’est, en mètres, la taille du plus grand silure pris dans le Sud-Ouest. C’était
à Monheurt, en Lot-et-Garonne, en septembre 2013. Le plus gros silure pêché en France, dans le Rhône, mesurait 2,56 m pour 110 kilos (vidéo ci-dessous). Loin des 5 mètres et 300 kilos attribués à un individu pris dans l’ex-Union soviétique, dans les années 1950. Mais ce record-là reste sujet à caution.
20. C’est en années l’espérance de vie moyenne d’un silure. Il existe 16 espèces. La plus connue est
le silure glane, que l’on trouve justement dans la Dordogne.
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